Print Friendly, PDF & Email

Tenir compte des volontés des patients en fin de vie grâce à l’intelligence artificielle

Est-il possible de concevoir un outil automatisé qui alerterait les médecins lorsque des patients hospitalisés ont de fortes probabilités de décéder au cours des 12 prochains mois? C’est la tâche à laquelle s’attache le Dr Ryeyan Taseen, pneumologue ayant fait sa résidence au CIUSSS de l’Estrie–CHUS et étudiant à la maitrise en informatique de la santé au GRIIS à l’Université de Sherbrooke. Sous la direction des Prs Jean-François Ethier et Luc Lavoie, il développe un outil qui motivera les médecins à commencer une discussion avec leurs patients au sujet des soins que ceux-ci souhaitent — ou ne souhaitent pas — recevoir.

Pour mener à terme ce projet de recherche, le Dr Taseen s’est mérité une bourse conjointe des Fonds de recherche du Québec — Santé et du ministère de la Santé et des Services sociaux. Cette bourse lui permettra de se former à la recherche de haut niveau, tout en continuant sa profession de médecin, et d’aspirer à une carrière universitaire de chercheur clinicien.

Le Dr Taseen raconte son parcours : « J’ai grandi avec l’informatique. Je suis de la génération des médias sociaux. Je tiens pour acquis que l’informatique peut nous donner des bénéfices au quotidien. Quand je suis entré dans le monde médical, j’ai été choqué par le fait qu’on utilise encore le papier ! Les médecins doivent tout le temps saisir les mêmes données, encore et encore ! »

Il a décidé très tôt de ne pas se décourager face à des systèmes archaïques en santé. Il contribuerait à propulser la santé dans le 21e siècle technologique.

Un scénario visionnaire et réaliste

Pour comprendre le projet que propose le Dr Taseen, prenons le cas fictif de Jean-Pierre. Âgé de 72 ans, Jean-Pierrre est atteint d’une maladie pulmonaire chronique qui l’oblige en tout temps à respirer de l’oxygène embouteillé. De plus, il est atteint d’une insuffisance cardiaque. Il vient d’être hospitalisé pour une pneumonie accompagnée d’une insuffisance rénale aigüe.

Le médecin de Jean-Pierre ouvre le dossier médical et y saisit les nouvelles données concernant l’état de santé de son patient. Automatiquement, il reçoit une alerte : l’outil informatique l’avise que les probabilités que Jean-Pierre décède au cours de la prochaine année sont élevées.

Le médecin et Jean-Pierre n’avaient saisi que partiellement l’ampleur du pronostic et les conséquences de la maladie. Après tout, la dépendance de Jean-Pierre à l’oxygène est un signe d’un stade avancé de sa maladie. Plutôt que de poursuivre sa tournée de patients comme il l’avait planifié, le médecin tourne son attention vers l’alerte qu’il vient de recevoir. Il l’analyse en détail.

Il décide d’accorder la priorité à la situation de Jean-Pierre et d’avoir une discussion avec lui sur les objectifs de soins. Le médecin échange alors avec Jean-Pierre sur le pronostic et sur les soins que celui-ci préfèrerait recevoir au fur et à mesure que la maladie progresse au cours des prochains mois.

Jean-Pierre est certain qu’il ne veut pas être réanimé ou intubé. Il est rassuré par le fait que l’équipe soignante tienne compte de son choix. Il spécifie aussi qu’il ne veut être soigné que pour assurer un certain confort et qu’il ne veut pas de traitements invasifs, même s’il ne sait pas exactement ce que cela implique. Le médecin propose à Jean-Pierre de rencontrer l’équipe des soins palliatifs. Ce dernier accepte.

Le Dr Ryeyan Taseen argumente dans ses travaux que ce scénario est réaliste. « Les patients qui sont à risque n’ont pas aussi souvent qu’il le faudrait une discussion avec leur médecin sur les objectifs de soins, explique le Dr Taseen. Les médecins font face à des lacunes organisationnelles, ils doivent terminer leur tournée de patients, réviser des résultats et écrire des notes. Cette pression a pour conséquence de diminuer les occasions de discussion entre les médecins et les patients. Les patients reçoivent des traitements qui ne correspondent pas avec ce qu’ils auraient voulu si on leur en avait parlé auparavant. »

L’un des cas les plus courants est celui de patients qui reçoivent des traitements qui sont excessifs par rapport à l’amélioration qui pourrait être attendue. Dans ces cas, la discussion porte sur l’« acharnement » alors qu’elle aurait dû avoir lieu plus tôt et porter sur les préférences de soins du patient.

Discuter des objectifs de soins pour améliorer la qualité de vie

L’outil d’aide à la décision et d’alerte que conçoit le Dr Taseen sera compatible avec les données du CIUSSS de l’Estrie–CHUS et tirera profit de l’intelligence artificielle.

« Cet outil d’aide à la décision, précise le Dr Taseen, se base sur les données de santé du patient au moment de son admission. Il indique aux médecins que le risque de mortalité est élevé et leur suggère d’avoir une discussion sur les objectifs de soins. Il faut que ça soit automatisé pour que ça fonctionne. »

Dans son mémoire de maitrise, le Dr Taseen a relevé le défi d’élaborer un modèle de prédiction qui utilise en temps réel les données de santé disponibles au CIUSSS de l’Estrie–CHUS. Ce modèle informatique fait appel à la méthode des forêts aléatoires d’arbres décisionnels, issue de l’apprentissage machine en intelligence artificielle.

Grâce à cette méthode, les prédictions seront plus fiables que celles produites par les approches conventionnelles. L’un des défis de l’intelligence artificielle est de livrer des résultats qui sont interprétables, plutôt qu’opaques comme s’ils étaient issus d’une « boite noire ». Avec la méthode proposée par le Dr Taseen, l’outil produira une alerte accessible au raisonnement clinique.

Dans une prochaine phase de son projet, le Dr Taseen compte déployer son outil de prédiction automatisée dans un milieu hospitalier. Ce sera-là l’occasion d’effectuer un test concret pour un modèle prometteur.

Profils reliés